Aleksandar Matanovic (1930 - 2023)

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Aleksandar Matanovic

En bref

Le Grand Maître Aleksandar Matanovic, fondateur de « L’informateur d’échecs », s’est éteint à Belgrade le 9 août 2023. Par Georges Bertola. Aleksandar Matanovic vs Vlastimil Jansa, Olympiad Lugano, 1968. Défense Sicilienne.

Matanovic faisait partie de l’équipe yougoslave qui, à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale, était capable de résister à la puissante équipe de l’URSS.

La première fois que j’ai pu l’observer c’était à l’olympiade de Lugano en 1968. Il jouait au 3e échiquier, dans l’ombre de Gligoric et Ivkov. L’équipe se classa au deuxième rang derrière l’URSS, mais devant la Bulgarie et les USA.

Aleksandar Matanovic réussit l’une des meilleures performances de l’équipe, en compagnie de Milan Matulovic, avec 5 victoires et 8 nulles. Devant l’échiquier, il apparaissait étrangement calme, ne laissant apparaître aucune émotion.

Une de ces parties fut classée comme l’une des meilleures de « L’Informateur » qui, à l’époque, était la bible des joueurs d’échecs et comptait déjà 6 numéros.

Aleksandar Matanovic
Aleksandar Matanovic

Aleksandar Matanovic - Vlastimil Jansa, Olympiad–18 Final A Lugano, 06.11.1968. Défense Sicilienne [B68]

1.e4 c5 2.f3 d6 3.d4 cxd4 4.xd4 f6 5.c3 c6 6.g5 e6 7.d2 a6 8.0-0-0 d7

La Sicilienne Richter-Rauzer, très analysée à l’époque, et, avec ce coup, les Noirs veulent accélérer la contre-attaque sur l’aile-Dame en utilisant la colonne «c» semi-ouverte.

9.f4 e7 10.f3

Pour accentuer la pression sur le pion d6.

10...b5 11.e5

Une ligne de jeu que le GM Khalifman juge risquée car elle apporte trop de jeu aux pièces noires.

11...b4

Tranchant et presque forcé.

Matanovic - Jansa, 11...b4

12.exf6 bxc3 13.xc3 gxf6 14.h4

Ce coup n’est pas vraiment obligatoire à cause du clouage.
En revanche 14.f5 est intéressant, un exemple 14...e5 15.e3 d5 16.xd5 b4 17.c4 c8! 18.xd7!? xd7 19.b3 0-0 20.h6 xf5 permet d’éviter les menaces de mat en restituant la qualité. 21.xf8 xf8 jugé à peu près égal. 22.b1 (Si 22.xf7+ h8 23.e1?! g5+ 24.b1 h6 GM Granda : et les pièces noires dominent.) 22...e4 23.xf7+ g7 24.e1 xc2+ 25.xc2 xc2 26.e6 xg2 27.d1 c5 28.a3 c6 29.b4 d4 30.d5 b5 31.bxc5 xa3+ ½-½ Anand,V (2420)-Granda Zuniga,J (2475) Wch U20 Gausdal 1986.

14...d5

La position reste très tranchante et d’actualité.
14...g8 15.b1 b8 16.h3 a5 17.xa5 xa5 18.xa6 xg2 19.hg1 g6 20.f5 exf5 ½-½ Nakamura,H (2736)-Vachier Lagrave,M (2784) Skilling op Prelim INT rapid 2020 et l’activité des pièces noires offre des compensations pour le dommage structurel.

15.b1

Matanovic - Jansa, 15.b1

15...b4

Jugé douteux par Matanovic, qui a indiqué : 15...a5 16.e1 (16.d4 c8 17.d2 c7 18.xa6 a8 19.d3 c4 20.xc4 xc4 et les Noirs ont des compensations pour le pion sacrifié car les pièces noires sont menaçantes sur l’aile Dame. C’est probablement la position la plus critique.) 16...b7 17.f5 c8 18.d2 GM Matanovic.
15...c8 avec l’idée de sacrifier le pion a6 pour ouvrir davantage les lignes, est l’autre option la plus importante.

16.d4 c8 17.b3

Sous le feu de l’ennemi.
Après 17.e3 b6 18.a3 c6 est jugé égal par le GM Trifunovic.

17...a5?!

Certainement une erreur. Il fallait jouer 17...b8!?

18.e1!

Instaure un clouage désagréable.
Faible était 18.a3? xc2! 19.xc2 a4 20.b7 xc2+ 21.a1 0-0-+ MI Rabar

18...a4 19.a3

Matanovic - Jansa, 19.a3

19...0-0?

Complètement perdant. 19...xc2 20.xe7+ xe7 21.xa5+- GM Matanovic
19...xc2? 20.b3+-
Les Noirs étaient en difficulté après 19...c6 20.xe7+ xe7 21.xa5 xa5 22.b3 (22.xa6 a8 23.d3 b7 24.b3 d7 25.c4 e5 26.he1 1-0 Vega Chirino,L (2275)-Suri,A (2305) Havana Provincial-B 1999) 22...d7 23.xa6+-

20.b3!

Un contre-clouage décisif.

20...e5?

Aggrave la situation en cédant l’importante case f5.

21.fxe5 fxe5 22.f5 c5 23.bxa4

Avec la terrible menace 24.g3+!

Matanovic - Jansa, 23.bxa4

23...c6 24.b3 b8 25.a3 cb6 26.b5!

Une jolie pointe qui permet de fermer la colonne « b ».

26...axb5 27.axb4 1-0

Matanovic - Jansa, 27.axb4 1-0
Smyslov, Matanovic, Gligoric et Botvinnik en 1994

À l’époque je ne connaissais rien de ce joueur qui avait obtenu le titre de GM en 1955 au vu de ses excellents résultats dans les tournois. En 1955, il n’y avait qu’une quarantaine de joueurs à être honorés du titre de Grand-Maître ! Avant d’obtenir le titre, Matanovic fut vainqueur à Opatija 1953, Hambourg 1955 et une 2e place au fort tournoi de Zagreb 1955.

Puis il étoffa son palmarès en remportant les tournois de Beverwijk 1957, Buenos Aires 1961 et son premier titre de champion de Yougoslavie en 1962. Il partagea la première place du tournoi de Bordeaux 1964 et de celui de Bad Pyrmont 1966.

Dans Europe Echecs en 1964 Soultanbeïeff, arbitre du tournoi de Bordeaux, le présenta en quelques mots : « Né le 23 mai 1930. Marié, a un fils. A appris les échecs à l’âge de 8 ans avec sa sœur. Style positionnel. Considère Alekhine comme le plus grand joueur de l’histoire. »

En 1976, j’ai pu à nouveau l’observer lors du tournoi interzonal de Bienne. Il luttait pour une place d’honneur dans la deuxième moitié du classement. Curieusement on peut lire dans « Yugoslav Chess Triumphs » en 1976 :

« Cela peut sembler paradoxal, mais c'est un fait que lorsqu'on se concentre sur la théorie des échecs, même en écrivant des livres à ce sujet, on est inévitablement en retard sur des concurrents qui jouent régulièrement dans des tournois et dont l'activité est dirigée vers eux-mêmes. Il y a une explication très simple pour cela : un maître actif peut limiter son répertoire d'ouvertures et les étudier à l'exclusion de tout le reste, tandis qu'un théoricien comme Matanovic doit nécessairement naviguer sur une mer infinie de variantes, sans en écarter aucune. »

Signature d'Aleksandar Matanovic

Il était alors un journaliste reconnu et surtout le fondateur de ce qui était devenu la référence incontournable de tous les joueurs « L’Informateur » qui paraissait deux fois par an. Il avait développé et créé un langage universel pour commenter des parties avec des signes, puis entrepris l’édition des célèbres encyclopédies du traitement des ouvertures, puis des finales.

« Aleksandar Matanovic, surnommé Beko par ses amis proches, était un joueur d’échecs au style classique et positionnel, très fort pour entreprendre de longues manœuvres.Il était capable de surpasser les adversaires les plus faibles en tant que stratège expérimenté, tout en réservant ses armes principales pour l'élite des joueurs. Il semble avoir été fortement influencé par Mikhaïl Botvinnik que Matanovic appréciait beaucoup. Quand j'ai appris à mieux le connaître, je me suis demandé pourquoi un joueur de sa classe n'avait pas plus d'ambition, car à mon avis, ce manque d'ambition l’a empêché de réaliser une percée dans l'élite même des échecs. » GM Bozidar Ivanovic en 2020

Une page se tourne avec la disparition de celui qui à ce jour était le doyen des Grands-Maîtres.

Georges Bertola

Aleksandar Matanovic -Vlastimil Jansa, Olympiad–18 Final A Lugano, 06.11.1968