En bref
Classement final
Avec un point d'avance sur Hikaru Nakamura, Magnus Carlsen a réussi avec brio cette pérégrination temporelle !
Le Morocco Chess Week a fait son grand retour du 17 au 20 mai à Casablanca, sous le haut patronage de SM le roi Mohammed VI. Vishy Anand, Bassem Amin, Hikaru Nakamura et Magnus Carlsen se sont affrontés dans une variante originale qui met l'histoire des échecs à l'honneur, la "variante de Casablanca".
L’évènement coïncidant avec les célébrations du centenaire de la FIDE, les joueurs ont débuté leurs parties avec une position extraite d’un match de championnat du monde, hommes ou femmes, à l’exception des matchs où Vishy Anand et Magnus Carlsen étaient impliqués. Cette « variante de Casablanca » a permis de replonger dans les grandes parties de l'histoire des échecs.
Ronde 1 : Carlsen et Nakamura dans les pas de Steinitz
Une première position âgée de 135 ans
La première position est celle de la 5e partie du match du championnat du monde entre Tchigorine et Steinitz en 1889 à La Havane. Steinitz était parvenu à remporter cette partie, avant de s'imposer 10 à 6 et de conserver son titre.
Les noirs viennent de jouer 10... Fb6, avec une position équilibrée mais encore riche en possibilités. Tchigorine avait joué le meilleur coup selon l'ordinateur : 11. dxe5. Avant de voir comment les champions actuels ont traité la position, nous vous invitons à revoir la partie de 1889 en intégralité.
"Cette confrontation engendra un débat important sur deux visions différentes du jeu. Steinitz se révélait supérieur dans les positions fermées alors que le génie tactique de Chigorin s’imposait dans les jeux ouverts. Leurs jugements s’opposaient, Chigorin n’était pas pleinement convaincu par la théorie de Steinitz, basée sur l’équilibre positionnel, la recherche et l’accumulation de petits avantages, la supériorité du fou sur le cavalier. Cela limitait la créativité et Chigorin pensait que l’un des aspects les plus importants était la dynamique déployée par les pièces, qui augmentaient les possibilités de combinaison, chaque position avait sa singularité et il accordait peu d’importance dans la domination et l’occupation du centre." (Extrait de l'article de Georges Bertola Échecs à Cuba — 500 ans d'histoire)
Voyons maintenant ce que changent 135 années de développement des échecs !
Magnus Carlsen 1-0 Vishy Anand
11. Ca3 Le coup de Carlsen est assez surprenant, mais loin d'être illogique Ca5 12. Da4 Cec6 13. dxe5 Dc5? Anand menace Dxf2+ et semble reprendre l'initiative. Mais...
14. Td5! Un coup brillant qui aurait sans doute été applaudi par Steinitz. La dame noire est mal placée, et Carlsen en profite, quitte à sacrifier un peu de matériel.
« Dans une position donnée, seul un jugement objectif de tous les facteurs peut aboutir à la vérité. » (Tchigorine)
14... Dxf2+ 15. Rh1 Db2 16. Tb1 Dxa3 Forcé. 16... Df2 17. Tf1 Db2 18. Tb5 et la dame noire n'a plus d'échappatoire.
17. Dxa3 Cxc4 18. Da4 Ce3 19. Txb6 Cxd5 20. Txc6 +- Anand abandonne.
En triomphant avec les pièces blanches, Carlsen est parvenu à réécrire l'histoire !
Hikaru Nakamura 1-0 Bassem Amin
11. Ff1!? Encore une fois, le coup joué par le champion actuel n'a pas les faveurs de l'ordinateur.
« Je suis peut-être un vieux lion, mais je peux toujours mordre la main de quelqu'un s'il la met dans ma bouche. » (Wilhelm Steinitz, à la fin de sa carrière)
11... exd4 12. cxd4 Cg6 13. Cc3 Cxd4? Gourmand, trop gourmand.
14. Txd4 Fxd4 15. Cb5! Fxa1 16. Cxd6 cxd6 Avec un bel avantage pour les blancs, que Nakamura parviendra à convertir au 28e coup.
Fait étonnant : alors que dans la partie originale les noirs s'étaient imposés, 135 plus tard les blancs l'ont emporté à deux reprises. Un constat qui démontre toute la richesse que peuvent offrir certaines positions, qui semblent parfois pourtant considérées comme "résolues". Il est fascinant de constater à quel point les trois parties ont rapidement suivi des chemins différents, à partir d'une position pourtant identique.
Fait remarquable : aucun des trois joueurs n'a choisi la même option, et la préférence de l'ordinateur va au coup de Steinitz, joué il y a plus d'un siècle !
Chigorin in 1889 > Magnus and Hikaru in 2024
— Fabiano Caruana (@FabianoCaruana) May 18, 2024
"Je ne suis pas un historien des échecs - je suis un morceau de l'histoire des échecs que personne ne peut éviter. Je n'écrirai pas sur moi-même, mais je suis sûr que quelqu'un écrira." (Wilhelm Steinitz)
Cinq autres voyages échiquéens dans le temps
Nous vous présentons ici toutes les positions historiques qui ont été jouées lors de ce tournoi. Si vous voulez comparer les approches des différents joueurs aux différentes époques, n'hésitez pas à regarder toutes les parties en intégralité à la fin de cet article.
Ronde 2 : Xiu Jun - Alisa Galliamova 1999
Résultats de la ronde 2
Xiu Jun, Bassem Amin et Nakamura ont tous les trois joué 12. Ff3
Ronde 3 : Karpov - Kasparov 1985
À nouveau, Karpov, Amin et Nakamura choisissent le même coup 12.Cd5
Résultats de la ronde 3
⚔ Hikaru Nakamura and Magnus Carlsen met in round 3 of the Casablanca Chess tournament to play a position from the legendary 1985 Karpov vs Kasparov match! 🔥
— International Chess Federation (@FIDE_chess) May 18, 2024
ℹ️ The players see the position they will play for the first time when they get to the board. The arbiter gives them a… pic.twitter.com/fcqfxjxWsb
Ronde 4 : Alexandre Alekhine - Max Euwe 1935
Résultats de la ronde 4
Alekhine et Carlsen ont joué 9. Ce2, tandis qu'Amin Bessem a préféré 9. dxc5
Malgré sa mémoire éléphantesque, Carlsen n'a pas reconnu cette partie : "J'ai pensé que c'était une partie Smyslov - Botvinnik."
Anand a lui aussi tenté de deviner : "C'est Keres - Botvinnik, n'est-ce pas la seule partie que Keres a gagné ?" Le champion indien n'était pas loin de la vérité, car Botvinnik a effectivement joué cette position contre Smyslov à plusieurs reprises.
Ronde 5 : Kasparov - Karpov 1987
En jouant 9. De2, Nakamura et Carlsen n'ont pas marché dans les pas de Kasparov, qui avait opté pour 9. Cc3
Résultats de la ronde 5
Retrouvez l'analyse en vidéo de la partie de Kasparov contre Karpov par le maître FIDE Sylvain Ravot, dans sa série Flashback (à partir de la 29e minute).
Ronde 6 : Xiu Jun - Alisa Galliamova 1999
Résultats de la ronde 6
Si Anand a joué 15. Ce2, Xiu Jun et Magnus Carlsen ont préféré le plus direct 15. g4
Magnus Carlsen : « C'est une de ces Rauzers que tout le monde jouait dans les années 90. Si je devais deviner, je dirais que cela vient probablement d'un championnat du monde féminin, mais je ne sais pas. »
La variante de Casablanca, testée et approuvée
Nous avons adoré cette variante, sans prétendre à une totale objectivité, car l'équipe d'Europe Échecs est passionnée par l'histoire du jeu.
Nous avons consacré l'année 2023 à préparer un grand livre collector qui retrace 64 années d'histoire des échecs à travers les archives de la revue, et notre rédacteur en chef Georges Bertola est l'un des historiens des échecs les plus reconnus. Il a d'ailleurs publié un portrait échiquéen de Wilhelm Steinitz en deux volumes, qui fait référence.
Mais en mettant de côté cet amour de l'histoire, reconnaissons que les parties disputées à Casablanca ont été de grande qualité, et à la beauté des coups s'est ajoutée un voyage dans le temps inédit et vivifiant. La comparaison des choix des champions de différentes époques a pimenté le suivi de ce tournoi, et montre aussi l'évolution du jeu. Un succès à reproduire ! Il reste beaucoup d'autres parties à rejouer, et nous avons très envie de voir Carlsen et les champions actuels se plonger dans les parties de Fischer, Vera Menchik, Tal ou Capablanca, autres champions mythiques.
« Lorsqu'on lui a demandé s'il était meilleur que Morphy, Steinitz et Capablanca, Bobby Fischer a répondu : « Et bien, je n'aime pas mettre des choses comme ça dans la presse écrite, cela semble tellement égoïste. Mais pour répondre à votre question, oui. » (Interview de Fischer par Ginzburg, Harper's Magazine 1962)
Même si ce tournoi a été disputé à une cadence rapide qui ne favorise pas les champions actuels, il a démontré que les grands joueurs du passé ont encore beaucoup à nous apprendre !
Beaucoup plus qu'un simple tournoi !
Cet événement vise aussi à développer le jeu d’échecs au Maroc. Une simultanée a été organisée, et les joueurs locaux ont eu la chance d'affronter le maître Mohamed Tissir, les grands maîtres Laurent Fressinet, Alexander Volzhin et Bachar Kouatly, les grands maîtres féminins Atousa Pourkashiyan, Gulmira Dauletova, Dana Reizniece-Ozola, Nadezhda Marochkina, la maître internationale féminin Tshepiso Lopang et Benard Wanjala, président de la Fédération des Échecs du Kenya.
"Ce n'est pas seulement un événement, c'est l'un des éléments centraux de notre célébration de 100 ans de la FIDE cette année. Nous regardons notre histoire. Nous avons commencé en Inde, où les échecs sont probablement nés, nous sommes allés en Suisse, où se trouve depuis de nombreuses années le siège de la FIDE, et maintenant nous sommes au Maroc, d'où les échecs sont probablement arrivés en Europe. Il s'agit de nos racines." (Arkady Dvorkovich, Président de la FIDE)
La torche du centenaire de la FIDE, partie d'Inde, a fait étape à Casablanca. Elle est ici tenue par Tarik Senhaji, directeur Général Bourse de Casablanca, Kadiri Bouchra, présidente de la Commission Provisoire des Jeux d'Échecs, Loubna Abdelhafid du comité des événements de Casablanca, et Arkady Dvorkovich, président de la FIDE. La torche terminera son voyage à Budapest, en Hongrie, lors des Olympiades.
"Nom de Zeus, Marty !" L'affiche du Casablanca Chess s'inspire du film culte Retour vers le futur. Et Magnus Carlsen a clairement dépassé les 88 miles par heure...
Les parties
En plus des parties disputées lors de cette Morocco Chess Week, nous avons ajouté les parties d'origine, afin de vous permettre de faire un passionnant voyage échiquéen dans le temps.
Une édition spéciale pour le centenaire de la FIDE
L'édition 2024 du Morocco Chess Week s'annonce grandiose, avec la participation de quatre joueurs d'exception, représentant chacun un continent : Vishy Anand pour l’Asie, Bassem Amin pour l’Afrique, Hikaru Nakamura pour l’Amérique et Magnus Carlsen pour l’Europe.
Cette 3e édition, organisée en partenariat avec la Fédération Royale Marocaine d’Echecs (FRME), coïncide en effet avec le centenaire de la FIDE, créée à Paris en 1924. À cette occasion, un grand évènement est prévu sur chaque continent, et la Fédération internationale a octroyé à Casablanca le droit de le célébrer pour l’Afrique.
4 champions face à la variante de Casablanca
Le temps fort de cette semaine sera un tournoi rapide appelé Casablanca Chess opposant ces quatre champions issus de quatre continents, qui s'affronteront dans un système toutes rondes aller-retour les 18 et 19 mai 2024.
L’évènement coïncidant avec les célébrations du centenaire de la FIDE, les joueurs se verront proposer une position d’une partie déjà jouée, extraite d’un match de championnat du monde, hommes ou femmes, à l’exception des matchs où Vishy Anand et Magnus Carlsen étaient impliqués. Cette « variante de Casablanca » devrait nous offrir de belles surprises, et permettra de replonger dans les grandes parties de l'histoire des échecs.
Les positions sélectionnées devront répondre à plusieurs critères bien définis :
- Tout d’abord, l’évaluation doit être à peu près égale (autour de 0.00, selon les moteurs).
- La position doit être extraite de l’ouverture, quelque part entre le 10e et 15e coup.
- Surtout, et c’est le critère le plus important, elle doit offrir de riches possibilités pour les deux joueurs. L'idée principale est d’obtenir des parties passionnantes ou, du moins, d'inciter les protagonistes à en produire.
Un exemple concret pour comprendre la variante de Casablanca
Cette partie s’était jouée entre Nona Gaprindashvili et Maia Chiburdanidze lors de leur match pour le titre de championne du monde en 1978.
C’est la 14e ronde et la position est issue d’une défense Caro-Kann après le 14e coup blanc : 14.Th4. Le module d’analyse sanctionne par un 0.00, l'évaluation est donc égale, mais la position reste très vivante !
Les coups noirs les plus joués dans la base de données sont dans l’ordre :
14...Fe7, 14...Tc8, 14...cxd4 et 14...0-0-0.
Nous pouvons facilement en déduire que la position est riche en possibilités pour les deux camps. On peut voir apparaître des roques de côtés opposés, une majorité de pions des Blancs à l’aile-Dame, ainsi que d’autres déséquilibres potentiels, selon les coups choisis.
Pour rappeler cette grande page d’histoire, sachez que Maia avait choisi 14...Tc8. Les joueuses transposèrent rapidement en finale et les Noirs ratèrent sans doute le gain : 0,5-0,5 en 52 coups. Une partie plus tard, Maia Chiburdanidze était sacrée championne du monde.
Carlsen aurait-il choisi lui aussi le coup Tc8 ? Cette variante permettra aux champions actuels de marcher dans les pas de leurs glorieux prédécesseurs, et éventuellement de réécrire l'histoire !
Les 16 positions jouées par les champions seront soigneusement choisies par les grands maîtres Laurent Fressinet, double champion de France et ancien préparateur de Magnus Carlsen, et Hicham Hamdouchi, 11 fois champion du Maroc et champion de France 2013.
Celle qui verra les joueurs s’affronter sera tirée au sort quelques instants avant le début de chaque ronde. Après chaque partie, la mémoire et les connaissances encyclopédiques des champions seront testées, pour savoir s’ils ont réussi à situer les parties : qui les a jouées, et quand ? Nous espérons ainsi assister à un très bon spectacle, malgré des positions présumées « égales » au départ. Toutefois, pour reprendre une expression bien connue aux échecs : les positions sont égales, mais certaines le sont moins que d’autres !
"L’idée est venue après la série de Netflix, The Queen’s Gambit. Tarik Senhaji m’a demandé comment les positions que l’on voyait dans la série avaient été choisies. Aujourd’hui, on sait que Kasparov faisait partie de l’équipe de consultants. Pourquoi ne ferions-nous pas quelque chose similaire à Casablanca ? Et nous avons mis en oeuvre cette variante."
(Hicham Hamdouchi)
Les quatre champions vont-ils rejouer le match du siècle entre Fischer et Spassky ? Impossible de savoir quelles sont les 16 positions retenues, mais imaginer Carlsen, Anand, Amin ou Nakamura changer l'histoire de ce match serait passionnant !
Pour sortir des sentiers battus et proposer de nouveaux horizons aux joueurs, de nombreuses formules alternatives ont été tentées, que ce soit le Chess960 de Bobby Fischer, l’Anti Chess, le Crazy house ou encore le No Castle à Dortmund (où le roque est interdit).
La variante de Casablanca propose elle aussi de disputer des parties originales, d'éviter les longues préparations théoriques, tout en conservant les règles classiques des échecs et en rendant hommage aux grands champions de l'histoire du jeu d'échecs. Nous aurons la chance et le privilège d’être en présence d’un plateau royal pour tester cette idée !
"Rassembler ces champions, c’est exceptionnel ! Nous espérons une grande visibilité médiatique, avec l’idée de donner encore plus envie aux jeunes Marocains et Africains de se mettre à jouer aux échecs."
(Hicham Hamdouchi)
Retour sur les deux premières éditions
Lancé en 2022, le Casablanca Chess Week, devenu Morocco Chess Week, est un évènement organisé par la Bourse de Casablanca, en association avec Casa Events & Animation. Il vise à promouvoir et développer le jeu d’échecs au Maroc. Plusieurs activités sont proposées, allant de l’organisation de tournois rapides à la création d’un club d’échecs dans un organisme social ou encore des masterclasses et des simultanées données par les grands maîtres invités.
La première édition avait mis en avant le lien entre le jeu d’échecs et d’autres domaines professionnels et avait eu comme invités de marque la GMF Dana Reizniece-Ozola, ancien ministre des finances de la Lettonie, l’ancien joueur du Top 10 mondial Loek Van Wely, alors sénateur dans son pays, les Pays-Bas, et Bachar Kouatly, qui fut notamment le 1er GMI français et du monde arabe. L’attraction principale pour les joueurs d’échecs fut un match rapide joué par Loek Van Wely et Hicham Hamdouchi dans les locaux historiques de la Mahkama du Pacha.
La 2e édition s’était focalisée sur l’influence de l’Intelligence Artificielle sur le jeu d’échecs, avec la présence de la légende vivante Judit Polgar, considérée comme la plus forte joueuse de tous les temps. La GMI hongroise offrit, entre autres, une simultanée et anima la remise des prix du tournoi de jeunes organisé au fameux Parc de la Ligue Arabe.
